Rhum Saint Gilles : Un peu d’Histoire dans la Bouteille

Il y a quelques temps, sur les réseaux, un internaute a posté la photo d’une ancienne bouteille de Rhum qu’il avait trouvé au fond de la cave de ses grand parents et il cherchait à en savoir plus à propos de ce Rhum Français que l’on ne trouve plus de nos jours :  il s’agissait d’un Rhum St Gilles, un Rhum sorti du passé.

Un Rhum Français de négoce

Ce rhum est typique de ce que l’on appelait autrefois un Rhum Français de négoce. Un terme qui désigne des Rhums en vrac provenant des départements français d’outre-mer, généralement issus de sucreries (à base de mélasse). Ces Rhums, souvent blancs (non vieillis) ou légèrement boisés, étaient acheminés en métropole où ils étaient stockés, affinés, assemblés ou non, puis embouteillés par de grands négociants en spiritueux, comme Slaur, La Martiniquaise ou Bardinet. Tous ces produits étaient ensuite commercialisés sous des marques souvent inconnues en outre-mer.

Bien que cette pratique perdure sous différentes formes, elle a connu son apogée au XXe siècle. Aujourd’hui encore, certains Rhums d’outre-mer sont finis et embouteillés en France sous des marques exclusives à la métropole. Cependant, une différence notable a émergé ces dernières années : ces rhums peuvent désormais bénéficier d’indications géographiques (IG), lorsqu’ils respectent des cahiers des charges précis :             

IG « Rhum des Antilles Françaises »

IG « Rhum des départements français d’outre-mer » ou « Rhum de l’outre-mer français »

Rhum Blanc Traditionnel I.G. Rhum des Antilles Françaises

Rhum Chauvet I.G. Rhum des départements Français d’outre mer

Rhum Blanc « Black Head » I.G. Rhum des départements Français d’outre mer

Une bouteille ressurgit du passé

Rhum Blanc Agricole « Saint Gilles » Martinique

Revenons à cette fameuse bouteille de Rhum Saint Gilles dont le nom ne m’était pas inconnu.

En regardant la photo d’un peu plus près, je vois qu’il s’agit d’un Rhum Agricole (pur jus de canne frais) qui vient de la Martinique (bien avant que l’AOC Martinique n’existe), il est précisé que c’est un grand cru (probablement parce que c’est un Rhum pur jus de canne et que ça diffère des Rhums de sucrerie ? ).
Il s’agit d’un Rhum « St Gilles », une marque longtemps distribuée par la société St Raphaël.

Quel type de Rhum ?

Le Rhum de la bouteille est un Rhum Agricole blanc, c’est à dire un Rhum obtenu après distillation en colonne, d’un moût fermenté, élaboré à partir de pur jus de cannes frais. Ce Rhum a certainement été fabriqué dans une des grandes distilleries agricoles de Martinique (St James, par exemple). Les Rhums Purs Jus de Canne Frais sont un peu « La Spécialité des Antilles et Guyane Françaises » depuis la fin du XIXème siècle. les Rhums agricoles reflètent un terroir et une technicité qui ont contribué à la mise en place de l’AOC Martinique depuis 1996 où chaque critère induisant le goût typique de ce genre de Rhum est encadré. Ils offrent, lorsqu’ils sont blancs (non vieillis), des arômes de fruits frais, une fraîcheur acidulée qui peut changer selon la variété de canne utilisée, le lieu où elle a poussé, sa maturité et comment elle est transformée. Ce que l’on recherche avec ces Rhums, qui proposent une belle diversité, c’est la relation directe avec la plante et son terroir, un goût frais, sans artifices.

Dans ce cas présent, nous ne saurons pas quel goût il a. Néanmoins c’est très intéressant de pouvoir goûter un Rhum qui a été conçu il y a plus de cinquante ans et d’essayer de découvrir à quel Rhum Blanc Agricole de Martinique (actuel) il se rapproche le plus. Par contre, cette bouteille a perdu de sa valeur marchande puisqu’elle a été ouverte.

Une redécouverte

La bouteille évoquée dans cette histoire m’a rappelé une relique personnelle : il se trouve que je possédais moi-même un flacon de cette marque, oublié sur une étagère derrière d’autres bouteilles. Intrigué, j’ai fouillé pour l’exhumer de sa retraite poussiéreuse. Cette bouteille, à la forme carrée, munie d’un bouchon en liège et d’une capsule en plomb, contenait un rhum brun foncé, étiqueté « Réserve Spéciale ». L’étiquette, toutefois, restait avare en informations : aucune mention d’origine précise, ni de taux d’alcool. On y apprenait seulement que le rhum était distribué par la Compagnie du Rhum Saint Gilles, supposée avoir des dépôts à Paris, Bordeaux, Le Havre et Marseille. Au dos, un texte racontait l’histoire d’un missionnaire aventurier qui aurait fondé une distillerie aux Antilles au XVIIe siècle.

Face AR Rhum St Gilles Petite histoire

Face avant Rhum Saint Gilles « Réserve Spéciale »

Une histoire captivante, une légende inspirée ?

Cette histoire évoquait en moi le souvenir d’un petit livre que j’avais dans un coin,  planqué comme la bouteille. Publié en 1948 par la même Compagnie du Rhum Saint Gilles, ce livre relatait l’épopée d’un missionnaire de l’ordre des Carmes Déchaux, arrivé en Guadeloupe en 1645 à l’âge de 44 ans. Comme beaucoup de missionnaires envoyés dans les colonies, cet homme polyvalent remplissait des fonctions variées : géographe, naturaliste, architecte, comptable, et même distillateur.       En parcourant, à nouveau, ce récit, bien écrit et bien documenté, j’ai noté des similitudes troublantes avec la véritable histoire du Père Jean-Baptiste Labat, missionnaire Dominicain arrivé aux Antilles quelques décennies plus tard. Le Père Labat, dont l’œuvre reste célèbre, a publié un récit monumental de 3000 pages en six tomes, décrivant avec minutie ses activités aux Antilles françaises à la fin du XVIIe siècle où il a laissé une empreinte durable. Il y a même une distillerie, toujours en activité à Marie-Galante, qui produit un Rhum réputé : « le Rhum du Père Labat ».

Voyages au Isles de JB LABAT

Page intérieure livre sur R.P. St Gilles

ancienne Bouteille de Rhum Vieux « Père Labat 8 ans » fin XXème

Fiction ou réalité ?

En comparant les deux histoires, j’ai le sentiment que l’aventure du « R.P. Saint Gilles » pourrait être une fiction marketing largement inspirée du parcours du Père Labat. Quoiqu’il en soit, son histoire renvoie néanmoins à un passé réel et dur, fait de difficultés et d’incertitudes, reflétant  les conditions difficiles et les enjeux de l’époque coloniale. loin des images idéalisées.

En définitive, cette bouteille de Rhum Saint Gilles illustre un exemple fascinant de storytelling, mêlant histoire réelle et personnage fictif.  Les campagnes marketing, fondées sur des personnages fictifs ou semi-fictifs, sont toujours d’actualité. L’imaginaire a décidément le pouvoir de transporter les amateurs de Rhum… une gorgée à la fois.

Négociants et Embouteilleurs artistes

Les grands négociants en spiritueux, qui distribuent principalement des références d’entrée de gamme embouteillées à partir de Rhums en vrac issus des Outre-Mer français restent toujours actifs, cependant, il existe également une autre catégorie : les embouteilleurs indépendants. Ces derniers sélectionnent soigneusement des Rhums Français ainsi que des Rhums d’autres origines pour créer de nouvelles références, souvent premium. Bien qu’ils ne fabriquent pas eux-mêmes ces Rhums, ils apportent leur expertise pour élaborer des produits uniques, contribuant ainsi à enrichir la diversité de l’offre pour le plus grand plaisir des amateurs.

      Compagnie des Indes, Ferroni, Old Brothers, Plantation, Chantal Comte, l’Esprit, Excellence Rhum, Famille Ricci …

Assemblage de Rhums purs jus par la maison Ferroni à Aubagne

Alain Rossi                                Consultant en Spiritueux          Expertise Rhum                              WSET Spirits Level 2                        AR Formations Rhum                espritrhum-formation.com

Bon, quant à moi, il ne me reste plus qu’à déguster le Rhum de ma vieille bouteille, à la prochaine