Dégustations Gourmandes de haut vol en Guadeloupe
Originaire de Guadeloupe, j’ai la culture du Rhum ancrée en moi depuis toujours, et plus particulièrement celle des Rhums Agricoles qui sont ceux que je consomme presque exclusivement. Qu’ils soient de Guadeloupe, ou de Martinique, je connais bien ces Rhum, sous tous leurs aspects, et je les utilise depuis fort longtemps aussi bien pour moi que professionnellement. Séjournant ces jours ci chez moi, en Guadeloupe, j’ai souhaité refaire quelques dégustations de Rhum, hors sentiers battus, afin d’aller à la découverte des tendances et de ce qui évolue. Il faut dire que le monde du Rhum, jouissant d’un intérêt croissant, est actuellement en nette effervescence. Pour aller à la découverte de quelques crus un peu pointus, j’ai demandé à Sandrine Rives, (sommelière sous le soleil) de me guider. De par ses activités, elle côtoie les principaux acteurs de la filière, avec lesquels, elle participe activement à la mise en œuvre d’évènements valorisant les crus Guadeloupéens.
Grâce à son intervention, ce Jeudi 1er Juin 2023, des portes se sont ouvertes pour moi, mais aussi des bouchons et des bondes de fûts et au delà des découvertes gustatives, il y a eu de belles rencontres humaines. J’espère que nous en ferons d’autres une prochaine fois.
En tout cas, cette journée était sous le signe de l’énergie. Allez, on y va.
Distillerie Montebello
La première distillerie que j’avais sélectionné et que je connais depuis des décennies, c’est la Distillerie Montebello à Petit Bourg ; là nous avons été reçus par Paul Timon, jeune maître de chais passionné et compétent. Après avoir rapidement fait un tour des lieux, nous sommes allés dans ses coins à lui, là où il entrepose ses fûts, là où il mène ses expériences.
Il sélectionne ses fûts à travers leurs origines, type de chêne, type de chauffe, et pour certains, avec ce qu’ils ont contenu auparavant pour réaliser des « Finish ». Une façon de créer des saveurs « autres » avec le Rhum. Le « Finish est une deuxième maturation dans un autre fût qui a fraichement contenu un vin ou un autre spiritueux, de sorte que certaines saveurs du précédent pensionnaire de ce fût apportent une touche au Rhum qui y séjournera plusieurs mois. Mais là, je me suis vite rendu compte que ce n’était pas de façon simpliste qu’il élaborait ses préparations.
Les Barriques servant aux « Finish » ne viennent pas de n’importe où et de chez n’importe qui, le garçon connait bien les terroirs de France et il travaille dans la dentelle si je puis dire. Après avoir dégusté une maturation en fût ex vin rouge pas encore aboutie, nous avons abordé les fameuses « Rencontre », cette gamme de Finish sur des Rhums Vieux Agricoles de 7 et 11 ans.
Que de belles surprises gourmandes au palais. Toutes ces secondes maturations sont faites sur d’anciennes barriques ayant contenu de beaux vins blancs :
- Condrieu : AOP dans les côtes du Rhône septentrionaux, cépage Viognier,
- Chassagne – Montrachet : AOC Côtes de Beaune, Bourgogne, cépage Chardonnay,
- Puligny – Montrachet : AOC Côtes de Beaune, Bourgogne, cépage Chardonnay,
- Chaume : Côteaux du Layon 1er Cru Chaume, vin liquoreux de Loire, cépage Chenin blanc,
- Quart de Chaume : AOC Quart de Chaume grand cru, vin liquoreux de Loire, cépage Chenin blanc.
Il y avait aussi deux autres « Rencontre » issues d’une seconde maturation :
- la première, en ex fût de Pommeaux de Bretagne AOC, eau de vie de cidre plus jus de pomme vieillie,
- la deuxième en ex fût de whisky Breton au Sarrazin ou blé noir. Le Whisky Breton fait l’objet d’une IGP.
Mes amis, ces « Rencontre » sont de belles découvertes curieuses et gourmandes qui parfois nous écartent un tout petit peu des saveurs de Rhums Vieux habituels mais qui enchantent avec nuances nos papilles qu’il faut encore pouvoir émerveiller après tant d’années de consommation. Et ce fut bien le cas, je vous l’assure. Alors je ne vous ferai pas un rapport de dégustation car tout s’est passé rapidement et je n’ai pas pris de notes. Par contre je peux vous dire que c’est bien fait, avec précision, c’est élégant et goûteux, l’alcool est bien intégré, les finales en bouche sont longues. J’ai été d’abord surpris par la subtile différence entre le même Rhum Vieux vieilli 11
ans en fûts Américains qui ensuite va séjourner 236 jours dans des fûts ayant contenus deux grands crus de vins blancs de Bourgogne assez proches.
- Une partie dans des futs de Chassagne Montrachet,
- et une partie dans des fûts de Puligny Montrachet.
Au bout des 236 Jours, ils possèdent chacun des nuances sensibles qui ne sont pas les mêmes, c’est subtil et impressionnant. L’un titre 46.8% d’alcool et l’autre 47.1%.
Celui qui m’a aussi, agréablement impressionné, est le Rhum qui après ses 7ans de vieillissement a passé un peu plus de 3 mois en fût ayant contenu du Whisky Breton au blé noir (distillerie des Menhirs), il titre 47.6%vol et offre des notes étonnamment pâtissières, très clair de couleur, il est gourmand et presque beurré.
En conclusion, ce type de Rhums permet des dégustations et des accords subtils et précis qui élargissent le plaisir de consommation du Rhum. Cela m’a même donné envie d’aller à la découverte de la plupart des anciens occupants de ces barriques (gourmand). Alors, oui bien sûr, ces flacons ont un coût substanciel, comme tant d’autres d’ailleurs, mais ils proposent quelque chose d’un peu différent et après tout, le vrai plaisir, ça n’a pas de prix.
Voilà qu’il était temps de partir, nous n’étions pas en promenade, et l’heure du prochain rendez vous approchait. Heureusement la deuxième distillerie où nous devions aller était à quelques kilomètres seulement.
Papa Rouyo
J’étais déjà venu là, il y avait moins de 6 mois et je voulais vraiment en découvrir plus. C’est la dernière distillerie Guadeloupéenne née : Papa Rouyo à Goyave. Là, nous étions attendus par Xavier Piron autre jeune et dynamique maître de chais de l’endroit. Lui aussi met à profit ses compétences pour tenter ses expériences. Plein de bonne volonté et d’énergie il s’occupe de plusieurs points en même temps, côté fermentation et distillation ainsi que du vieillissement. La distillerie est toute jeune et n’a pas encore de cuvée vieillie à partir de ses propres Rhums. Il faut laisser le temps au temps. En tout cas, sous IG Guadeloupe ce sera au moins trois ans pour avoir un Rhum qualifié de vieux. Bon il y a pas mal de fûts qui sont dans le chais, c’est donc en route.
La première fois que j’étais venu, je n’avais pu rencontrer que le distillateur avec lequel j’avais passé un beau moment, mais j’avais été un peu déçu par ce que j’avais goûté. Malgré cela, je m’étais dit qu’il fallait suivre et que ça évoluerait. Il faut rappeler que tout est jeune là, et qu’il faut un peu chercher les bons réglages. Allez, notre « guide » nous embarque pour une visite pleine de dégustations. Pas de colonne ici, c’est à l’alambic à repasse que l’on travaille, comme pour le Cognac. Il y a deux alambics, un grand pour la première passe, et un plus petit pour la repasse (en principe). Il y avait une distillation terminée, une deuxième passe, et on pouvait goûter le distillat fini, ainsi que renifler les réceptacles contenant les têtes et les queues de distillation et saisir ainsi tout l’art des coupes. Nous avons, bien sûr, pris un petit verre de distillat qui titrait dans les 64%vol environ, il offrait une ampleur aromatique intéressante, la bouche n’était pas agressive, et il tapissait bien le palais avec quelques notes réglissées. Là je me trouvais davantage sur ce que j’attendais de ce type de distillerie. Il y a des différences car le jus de canne qui sert à faire le moût n’est jamais tout à fait le même (maturité, taux de sucre : brix, variétés de cannes, types de sol, climat, enfin tout ce qui influence les caractéristiques gustatives de la canne…), c’est ça de travailler avec une matière première noble, végétale et vivante qui dépend de tous les facteurs naturels. C’est pour cela que ce sont des Rhums Agricoles, ils sont fait à partir d’une matière issue directement de l’agriculture, n’ayant subi aucune transformation, où le terroir, le variétal et l’éventuelle biodynamie ont une réelle portée sur les saveurs finales.
Puis, non avons goûté le petit dernier, « l’œilleton », qui lui aussi répondait mieux à mes attentes, issu du jus de deux variétés de canne, la R579 et la B80.0689, il titre 51%vol après réduction. Ah, c’était bien parti là.
Ensuite nous sommes allé dans le chais de vieillissement où armé de la taupette qu’il plongeait dans le fût à travers le trou de la bonde, notre expert nous a fait goûter plusieurs vieillissements en cours qui serviront dans quelques temps, plus ou moins longs, à l’élaboration de cuvées de Rhums élevés sous bois et Vieux. Des barriques neuves, ou pas, chêne Français ou chêne Américain, plus ou moins de chauffe, etc… que des essais mûrissants, reflétant les souhaits de l’opérateur qui auront un devenir grâce à son talent. Il gère ses tonneaux et leurs contenus avec des idées déjà précises, mais qui, en plus, pourront, elles aussi, encore évoluer avec le temps. De l’énergie, de la volonté, des envies, du savoir acquis et en devenir, des projets qui aboutiront sur de belles réalisations. De quoi donner envie d’y revenir.
Nous sommes partis avec les papilles rassasiées de saveurs multiples après une matinée de dégustations hors normes mais l’âme chargée de l’énergie positive que ces garçons mettent dans leurs projets. Bien que notre journée n’était pas totalement finie, le plus gros était fait, et j’étais vraiment ravi de ce que j’avais vu et goûté. Il y avait du mouvement et de la créativité dans l’air. C’est donc à suivre.
Alain Rossi
Consultant en Spiritueux, Expertise Rhum, WSET Spirits Level 2
AR Formations Rhum
espritrhum-formation.com