Un Rhum, une histoire, le Chevalier de Saint-Georges

Le Chevalier de Saint-Georges : un destin extraordinaire

Un Concert Évocateur à Bordeaux

Le samedi 6 janvier 2024, le Grand Théâtre de Bordeaux a vibré au son d’un concert de musique classique mettant à l’honneur plusieurs compositeurs de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Des instruments d’époque, soigneusement sortis du musée, ont ajouté une dimension authentique à cet événement. Intitulé « Chevalier de Saint-Georges », le spectacle célébrait l’un des compositeurs à l’affiche, bien que son nom puisse échapper à ceux qui ne sont pas des spécialistes.

Personnellement je connais déjà ce personnage, grâce à une bouteille de Rhum de la distillerie Bologne en Guadeloupe, où l’étiquette indique fièrement : « Cuvée Spéciale Chevalier de St-Georges ».

Les Racines Guadeloupéennes du Chevalier

Je le connais aussi parce que je suis né en Guadeloupe, et que j’ai grandi non loin de la distillerie de Rhum Bologne. Cette marque qui a toujours orné nos tables lors des apéritifs depuis ma plus tendre enfance. Je l’ai utilisée régulièrement dans mon activité pendant des décennies. Ainsi, je savais qu’un compositeur guadeloupéen, comme l’indique cette plaque de rue à Basse-Terre, répondait au nom de  « Chevalier de Saint-Georges, Compositeur 1745-1799 » :

Un Musicien Méconnu

Mais pourquoi ce talentueux musicien Guadeloupéen, demeure-t-il méconnu du grand public ? On connaît facilement Mozart ou Bach, au moins de nom, mais pas lui, et pourtant…

Le Parcours Extraordinaire du Chevalier de Saint-Georges

Permettez-moi de vous dresser rapidement le portrait de cet homme au parcours rocambolesque.

Origine

Né en 1745 en Guadeloupe, Joseph, de son prénom, était le fils d’un nobliau blanc du nom de Georges de Bologne Saint-Georges, propriétaire d’une plantation de canne à sucre et de café entre Baillif et Basse-Terre, et d’une mère esclave noire, concubine de son père. Selon les règles en vigueur, l’enfant d’une esclave naissait esclave même si le père ne l’était pas, sauf si le père le reconnaissait officiellement. C’est ce qui s’est produit pour Joseph. Son père l’a reconnu et, plus tard, l’a emmené en France avec toute la famille, y compris sa mère.

Une éducation aristocratique

Le jeune garçon, mulâtre, a reçu en France une éducation aristocratique classique avec les meilleurs professeurs (musique, escrime, équitation, littérature, etc.). Brillant, il excelle rapidement dans tous les domaines. Virtuose du violon, il est également une fine lame, il est considéré comme le meilleur escrimeur de son temps. À 19 ans, le roi Louis XV le fait chevalier lorsqu’il devient gendarme du Roi.

Un parcours brillant

Notre brillant Joseph de Bologne, Chevalier de Saint-Georges, évolue librement aux plus hauts sommets de la société aristocratique malgré son métissage. Surnommé « le Mozart Noir », il apprécie également les idées progressistes du siècle des Lumières et devient le premier homme de couleur connu à être franc-maçon. Cependant, sa couleur de peau l’empêche d’obtenir la direction de l’Académie Royale de Musique (futur Opéra National), bien qu’il soit chaudement recommandé par le Roi Louis XVI et la Reine Marie Antoinette.

L’Engagement Militaire

Lorsque la Révolution éclate, il se range du côté des progressistes. En 1792, il commande une légion franche, un corps de troupes créé pour épauler l’armée régulière. Il devient colonel de la Légion des Américains et du Midi, composée d’hommes de couleur, combattant aux côtés d’un officier métis du nom de Thomas Alexandre Davy de la Pailleterie, plus connu sous le nom de Général Dumas. Ce dernier fera partie de l’armée de Bonaparte lors des campagnes d’Italie et d’Égypte. Ce Général est aussi le père de l’écrivain Alexandre Dumas, auteur d’œuvres célèbres telles que « Les Trois Mousquetaires », « Le Comte de Monte-Cristo », « Le Masque de Fer », «La Reine Margot», entre autres.

Malgré son engagement militaire pour la jeune république, Joseph est arrêté sous le gouvernement de Robespierre et jeté en prison, soupçonné de sympathies royalistes. À sa libération, il n’est plus rien, n’est plus reconnu, sans pension ni sphère d’influence. Le monde dans lequel il avait évolué et brillé, malgré les entraves, n’est plus. Il meurt quelques années plus tard, oublié et dans la misère. Ses œuvres musicales restent pour témoigner de son talent, mais elles ne seront pas mises en valeur par la suite. Une question de couleur de peau peut-être.

Plaque de rue à Paris

Une Rock Star

Les musicologues d’aujourd’hui s’accordent pour affirmer qu’il aurait mieux valu surnommer W.A. Mozart (1756-1791) « le Chevalier de Saint-Georges Blanc », plutôt que l’inverse…

En 2023, un film retraçant le parcours exceptionnel de ce personnage est sorti. Je trouve un peu dommage que ce soit une production Américaine, mais ça aura peut être l’avantage d’être plus international.

Un Rhum pas vraiment à l’Image du Chevalier

Revenons maintenant à la bouteille de Rhum évoquée au début, car c’est mon domaine. Il s’agit d’un Rhum Agricole Ambré de la distillerie Bologne élaboré au début des années 2000, quand la marque a recommencé à proposer des vieillissements (comme celui sur la photo ci-dessous), ce qu’elle n’avait plus fait depuis très longtemps. Cette cuvée, baptisée Chevalier de St-Georges, est l’une des premières à voir le jour.

Deuxième cuvée en ambré à avoir été produite il y a plus d’une quinzaine d’années

La Cuvée Spéciale Chevalier de St-Georges est un Rhum Ambré, maturé en foudre de chêne français (entre 12 et 24 mois environ) ; réduit à 42% vol, embouteillé en litre, utilisant la même bouteille que le Rhum Blanc 50° (le fameux « Maillot Jaune » comme on disait) sans aucun emballage ni fioritures. C’était une autre époque, depuis, cela a bien changé.

Ce Rhum présente une belle robe brune, est assez limpide, possède un nez boisé sur une fine vanille et quelques épices. En bouche, le boisé est plus présent, avec une légère amertume, une certaine ampleur et de la rondeur. La finale est nette, légèrement sucre roux-café, et pas très longue. C’est un Rhum Agricole « Élevé sous bois » sympathique et correct mais pas exceptionnel, comme il en existe tant d’autres. Franchement, au vu du parcours extraordinaire de l’homme qui prête son nom à cette ancienne cuvée, celle-ci est banale et ordinaire. Elle manque totalement de panache, tant dans le packaging que dans le style. Cette bouteille et son contenu ne rendent pas, à mon sens, hommage à son référent.

Il aurait fallu créer un Rhum d’Exception

Pour sacraliser une telle histoire à travers une cuvée de Rhum, il aurait fallu concevoir une référence unique et peu commune.

La Distillerie Bologne en Guadeloupe

Le devant de la distillerie Bologne

La distillerie porte son nom de famille : « Joseph de Bologne, Chevalier de St-Georges« . Elle est en partie située là où il est né.

Un Terroir Volcanique

Vue aérienne de la distillerie dans son environnement

Le Volcan « la Soufrière » qui surplombe les champs de canne

Des Moyens Techniques

Colonne à Distiller

Créer un Rhum d’Exception

Pour rendre hommage à ce personnage et à son talent, il serait judicieux de créer une cuvée prestigieuse et unique, reflétant véritablement le caractère de cet homme qui a marqué brillamment son temps. Tout devrait être pensé depuis la parcelle de terre, le choix des variétés de cannes (Noire & Bleue) utilisées pour en extraire le jus, une fermentation particulière, puis la distillation, le vieillissement et l’emballage.  Personnellement, je préconiserais un Rhum Vieux pour symboliser l’évolution. Un Rhum vieux, pas trop vieux, vieilli,  5 – 7 ans~, pour conserver un peu de vivacité ; non réduit, non filtré, sans ajustement de la couleur, une cuvée millésimée, en double maturation (chêne américain et chêne français), brut de fût, avec un titrage final compris entre 48,.. et 55,..% vol.

C’est quelque chose que la distillerie d’aujourd’hui serait capable de  faire très bien en créant une cuvée hors normes. Elle a le terroir, la technique, l’expérience et les moyens.

Chais de vieillissement, Distillerie Bologne

La composition d’un Rhum, des notes et des touches

Le Rhum final devrait être finement boisé, avec une touche d’Amérique et beaucoup de France, combinant puissance raisonnée et finesse, complexité et richesse, de manière à enchanter le palais avec une grande diversité de notes rebondissantes dont les dernières persisteraient longuement en bouche. Il ne reste plus qu’à…

Alain Rossi
Consultant en Spiritueux, Expertise Rhum, WSET Spirits Level 2
AR Formations Rhum
espritrhum-formation.com